Grendel
Navie Coriones, Mendoza Vairon et Raphaël Travis incarnèrent l'âme sélénite. Pendant près d'un demi-siècle, ils transmirent leur bonté, leur compassion et leur foi en l'humanité à un peuple sélénite épris de paix et de tranquilité. Acteurs discrets du sénat lunaire, ce trio de sages tronium oeuvra pour le renouveau de l'Humanité, pour un peuple exorcisée de ses démons millénaires. L'explosion de la navette Adagio, sous les yeux médusés de la station de contrôle, mit un terme à leurs espoirs.
La navette ne parcourut que quelques kilomètres. Elle était pourtant très loin de la zone de combats, et les courbes gracieuses de sa silouhette reflétaient la lumière du soleil sur sa surface kobalt. Une tête chimique s'élança depuis un cratère, sous une accélération de 300 G. Le temps que le système d'évasion enclenche les contre-mesures, que le pilote automatique court-circuite le pilote de confiance pour effectuer la manoeuvre humainement impossible, il était déjà trop tard.
Tous les canaux holovisu retransmirent l'information au bout de quelques minutes. Une plaine froide, poussiéreuse et stérile, un flash lumineux dans le lointain, rapidement étouffé par l'immensité du vide. Trois visages apparurent, trois dates et heures de décés identiques en surimpression en dessous de trois sourires confiants.
Le Centre Sénatorial de Reconstitution explosa à son tour. 60 échantillons de gènes, 10 cuves de clonage à usage spécifique, 20 000 tonnes de plastacier, 40 agents de la sécurité politique, et les 126 membres du personnel civil disparurent dans une boule de feu de cinq secondes, rejoints par les tourelles de défense automatique, les capteurs d'intrusion, et 28 touristes en attente dans le sas de pressurisation.
L'information aurait du être relayée avec la même intensité sur les holovisu de toutes les villes sélénites, mais elle ne fut qu'une parenthèse dans le flot continu de données qui se déversaient sur les consoles des agences de presse.
Déjà le sénateur Raniel commentait de sa voie de tenor la tragédie qui s'était déroulée un quart d'heure plus tôt :
"Nos ennemis nous ont porté le plus rude coup de toute notre histoire, et rien maintenant ne saura jamais sécher nos larmes. Mais nous ne fléchirons jamais. Dussions-nous tous donner notre vie pour la paix, nous continuerons à lutter, pour le peuple sélénite, pour l'humanité, pour notre salut à tous ! Nous rendrons coup pour coup, et le ferons regretter aux barbares qui ont osé s'attaquer à ce que Sélène a de plus sacré : notre identité, nos convictions, notre détermination.
Les Sages Tronium Coriones, Vairon et Travis furent nos guides. Durant des décenies, ils oeuvrèrent pour une nation sélénite pacifique, vigoureuse et rayonnante. Si leur disparition nous attriste, n'oublions pas leur enseignement. Pleurons leur mort, mais tirons enseignement de leur fin tragique. Promouvons la paix, mais exportons la aussi vers tous les peuples opprimés de la Terre, que l'Humanité soit enfin une et indivisible !"
L'intervention fut suivie d'un bref extrait du discour du sénateur Raniel, ou plutôt de la fin éloquente de son discour au sénat, tenu trente minutes plus tôt, sous l'ovation générale de toute l'Assemblée.
"Une humanité prospère, une humanité pacifiée, une humanité unifiée ! "
Un oeil attentif pouvait apercevoir trois sièges vides.